Toute la musique occidentale n’utilise que 12 notes au total : DO, DO dièse, RE, RE dièse, MI, FA, SOL, SOL dièse, LA, LA dièse et SI. Bien sûr, un piano comporte bien plus que 12 touches, mais chaque touche n’est qu’une version de l’une de ces 12 notes. Comme je l’ai expliqué dans ma vidéo précédente, il existe d’autres hauteurs possibles que ces douze-là, par exemple Do demi-dièse ou demi-bémol. En réalité, la hauteur est un spectre continu offrant un choix infini de notes. Alors, pourquoi ces douze-là ? Avant tout, sachez que ces notes n’ont pas été choisies pour leur fréquence. Les fréquences absolues ne sont pas importantes en musique. Si nous élevions d’un même écart la hauteur de toutes les notes, notre piano ne sonnerait pas moins juste. Ce n’est pas la fréquence de chaque note qui importe, mais les rapports entre leurs fréquences respectives. Une mélodie n’est pas constituée de notes, mais d’intervalles. Cette comptine n’est pas définie par ses notes (ni leurs fréquences), mais par leurs intervalles. Elle pourrait commencer par n’importe quelle note, et tant que les intervalles qui suivent restent inchangés, sa mélodie serait la même. C’est ce qu’on appelle transposer un morceau.
Mais pour revenir à la question : pourquoi seulement 12 notes ? Pour faire simple, elles sont le strict nécessaire dont nous avons besoin pour produire les intervalles les plus musicaux. Quels sont ces intervalles musicaux ? Et pourquoi 12 notes par octave sont-elles le meilleur moyen de les produire ? Bien que le goût soit une matière subjective, seule une poignée d’intervalles flatte l’oreille de la plupart des humains. Tout le monde s’accorde à considérer l’octave comme l’intervalle le plus important et le plus harmonieux. Deux notes séparées d’une octave sonnent tellement bien ensemble et semblent si complémentaires qu’elles passent pour deux versions de la même note. C’est pourquoi les notes séparées d’une octave portent le même nom. Voyez par exemple ces deux LA. Cet intervalle est aussi le rapport le plus simple entre les fréquences : pour monter d’une octave, il suffit de doubler la fréquence. Donc, la fréquence de 440 Hz est une octave au-dessus de 220 Hz. Leur rapport est de 2/1. Aussi, une corde deux fois plus courte qu’une autre sonnera une octave plus haut, puisqu’elle vibre deux fois plus vite. Et puisque deux notes séparées d’une octave sont si similaires à l’oreille, la plupart des cultures utilisent des gammes s’étendant sur une octave.
Reste à savoir comment peupler cette octave de notes. En Occident, on a choisi 12 notes qui permettent de produire une palette très utile d’intervalles. Parcourons maintenant ces intervalles et plaçons-les sur le clavier.
Après l’octave, les intervalles les plus harmonieux sont la quinte et la quarte parfaites. Bien que nous ayons choisi ces intervalles sur des bases purement esthétiques, il est intéressant de constater qu’ils correspondent, tout comme l’octave, à un rapport numérique très simple entre les hauteurs des deux notes. Tandis que pour monter d’une octave, il fallait multiplier la fréquence par 2, pour une quinte et une quarte, les rapports sont respectivement 3/2 et 4/3. Et même si nous n’avons pas besoin de maths pour apprécier ces intervalles, plus le rapport numérique est simple, plus nous les apprécions. Et ce n’est pas par hasard : quand le rapport entre deux fréquences est si élémentaire, les longueurs d’onde correspondantes vont s’aligner parfaitement. Cet alignement, ou synchronisation, des ondes est très probablement la raison pour laquelle un intervalle nous semble harmonieux. Quand nous jouons deux notes dont les fréquences se synchronisent moins bien, elles sont perçues comme dissonantes. L’octave, la quinte et la quarte sont universellement préférées aux autres intervalles. Mais pour les suivants, l’ordre de préférence varie. La tendance générale va cependant dans le sens suivant : la tierce majeure, la tierce mineure, la sixte majeure et la sixte mineure. Vous vous en doutez, leurs rapports numériques restent relativement simples. Ce sont les intervalles généralement considérés comme harmonieux. Les intervalles suivants sont considérés comme dissonants, mais ils ne sont pas inutiles pour autant. Bien que la dissonance semble indésirable à première vue, une musique sans dissonance serait certes plaisante, mais manquerait cruellement de tension dramatique. Ces intervalles plus dissonants sont le ton (ou seconde majeure), la septième mineure, le triton, la septième majeure et le demi-ton (ou seconde mineure). Ceux-ci sont les 12 intervalles utilisés en musique occidentale. Mais pourquoi ne pas ajouter quelques notes supplémentaires ? Par exemple, une tierce neutre entre les tierces majeure et mineure ? Ou une « ultra-sensible » entre la septième majeure et l’octave ? Pour bien faire, nous ne pourrions pas nous contenter d’ajouter ces deux notes, car il est important que l’écart entre les notes soit régulier. C’est ce qui nous permet de jouer dans toutes les gammes (ou tonalités) et facilite la pratique des instruments.
Dans notre système standard de 12 notes, l’écart entre chaque note est plus ou moins égal. Ajouter quelques notes au hasard détruirait cette régularité. Si nous voulions ajouter plus de 12 notes, il faudrait qu’elles divisent l’octave de manière régulière tout en permettant l’accès aux intervalles les plus importants. Une alternative intéressante serait d’avoir 19 notes, espacées régulièrement, qui offrent la Quinte, la Quarte et d’autres intervalles importants, ainsi que des micro-tonalités inédites. Une autre possibilité serait d’avoir 24 notes en insérant un quart de ton entre chacune de nos 12 notes, préservant ainsi tous les intervalles habituels et en permettant d’autres. Des œuvres ont été composées pour de tels systèmes, comme le piano à 24 notes par octave inventé par Ivan Wyschnegradsky. Cependant, cela rendrait l’instrument plus difficile à jouer, et la plupart des musiciens considéreraient probablement que ces notes supplémentaires ne justifient pas une telle complexité. Les instruments comme le violon ou le trombone n’auraient pas besoin d’être modifiés, mais ils sont quand même optimisés pour faciliter l’accès à nos 12 notes. La taille, la forme et le confort de l’instrument sont donc très importants, et les luthiers doivent faire un compromis entre ergonomie et nombre de notes accessibles. Au fil des siècles, il est apparu que 12 notes, répétées d’une octave à l’autre, sont le meilleur compromis pour accéder aux intervalles les plus musicaux tout en optimisant l’ergonomie des instruments. Ainsi, pour obtenir toutes les notes du clavier du piano, il suffit de doubler leurs fréquences pour les obtenir une octave plus haut et de les diviser par deux pour l’octave inférieure.
Cependant, il reste un sujet important à couvrir : le tempérament. Jusqu’ici, nous avons considéré une gamme naturelle dans laquelle les intervalles correspondent parfaitement à des rapports de fréquences purs. C’est la manière la plus pure d’accorder un instrument, mais elle pose un problème : pour jouer dans toutes les tonalités, les écarts entre notes doivent être rigoureusement identiques. Bien que notre gamme naturelle offre des écarts relativement similaires, ils ne sont pas absolument identiques car tous ces rapports ont été calculés à partir d’une note fondamentale. Par exemple, la quinte entre La et Mi est un rapport de fréquence exact de 3/2. Par conséquent, tant qu’on joue en La majeur, la mélodie sonnera parfaitement juste. Mais si je la jouais dans une autre tonalité, comme Mi bémol majeur par exemple, elle sonnerait nettement moins bien ! Le rapport de fréquence de la quinte entre Si bémol et Mi bémol n’est pas exact.
Changer de tonalité implique de se baser sur une nouvelle note fondamentale, ce qui nécessite de réaccorder complètement l’instrument pour que la tonalité sonne juste. Cependant, nous souhaitons que notre instrument sonne juste dans toutes les tonalités, y compris en jouant hors tonalité. C’est là que le « tempérament » entre en jeu. Pour pouvoir passer librement d’une tonalité à l’autre ou jouer chromatiquement, il est nécessaire de tempérer certains intervalles. Au cours de l’histoire, différents tempéraments ont été proposés pour atteindre un accordage polyvalent, chacun offrant un compromis différent entre justesse et polyvalence.
Le système actuel, appelé le « tempérament égal », est devenu quasiment universel. Il consiste à diviser l’octave en 12 portions égales, de sorte que les 12 écarts entre les notes soient identiques. En tempérament égal, la Quinte entre La et Mi, par exemple, sonnera ni plus ni moins juste que celle entre Si Bémol et Fa, ou entre Ré et La, ou entre Mi et Si, etc. Le principe est le suivant : au lieu de définir chaque intervalle par son rapport à une note fondamentale, on ne génère que l’octave ainsi, par son rapport exactement 2/1. C’est une excellente approximation, bien qu’en réalité, seule l’octave ait un rapport exact et soit parfaitement juste.
Certains de ces intervalles tempérés sont presque aussi justes que leur équivalent naturel. Par exemple, la Quarte et la Quinte ne dévient que de 1,96 %. Mais d’autres en dévient davantage, comme la Tierce Majeure qui est augmentée de 13 %. Cela se remarque particulièrement dans les accords. Un accord de Do Majeur en tempérament égal produira un léger désaccord, appelé « battement ». Mais si cet accord est accordé sur sa gamme naturelle, le battement disparaîtra.
Malgré cela, presque toute la musique que vous avez entendue dans votre vie est en tempérament égal, car il reste suffisamment juste pour ne pas nous choquer. J’espère que cette vidéo a répondu en partie à la question, bien que simple, qui entremêle physique, histoire et préférence esthétique. Bien sûr, ce système à 12 notes n’est pas une obligation. La microtonalité, par exemple, explore des hauteurs situées entre ces douze notes. Et d’autres cultures utilisent des gammes complètement différentes. J’en parlerai dans une prochaine vidéo. Si vous êtes formé à une forme de musique non-occidentale, j’aimerais vous entendre.